Le plus grand pluviomètre de Belgique ? Un gravimètre !
Comparer les données d’un radar météorologique avec celles d’un instrument qui mesure la pesanteur (un gravimètre) ? C’est ce qu’ont fait pour la première fois des scientifiques de l’Observatoire royal de Belgique et de l’Institut Royal Météorologique. Dans une étude conjointe publiée dans la revue Hydrology and Earth System Sciences, ils ont montré qu’un gravimètre à supraconductivité peut détecter les quantités de précipitations, tel un pluviomètre géant de 400 m de rayon. Cet instrument constitue une nouvelle source d’observations in-situ pour valider les observations de précipitations provenant d’instruments météorologiques.
En lévitation dans un champ magnétique depuis plus de 23 ans, une sphère métallique de la taille d’une balle de ping-pong décèle les moindres variations de la pesanteur à 48 m de profondeur, en bordure du plateau des Hautes-Fagnes. A 85 km de là, en province de Luxembourg, une sphère de 7 mètres de diamètre perchée au sommet d’une tour de 46 m, abrite une antenne parabolique qui balaye constamment l’horizon et observe, depuis plus de 17 ans, les précipitations dans un rayon de 250 km. Ces deux instruments, le gravimètre à supraconductivité de l’Observatoire royal de Belgique et le radar de Wideumont de l’Institut Royal Météorologique, sont à l’origine d’une étude surprenante réalisée conjointement par les deux instituts.
En Belgique, la pesanteur (g) a une valeur proche de 9.81 m/s². Cette valeur est essentiellement due à l’attraction gravitationnelle de la Terre. Elle n’est cependant pas constante. De faibles variations sont notamment causées par les forces de marées, causées par les mouvements relatifs du Soleil et de la Lune. Des variations d’origine climatique sont également observées. En effet, la quantité d’eau présente dans le sol varie au cours des saisons. En hiver, des nappes aquifères bien remplies accroissent la masse de la Terre et ont pour effet d’augmenter la pesanteur en surface.
Le radar détecte à distance les précipitations grâce à l’émission d’ondes électromagnétiques. Les échos renvoyés par les gouttes, les grêlons ou les flocons de neige sont utilisés pour estimer l’intensité des précipitations. Le radar de Wideumont, combiné aux autres radars couvrant la Belgique, fournit toutes les 5 minutes une image des précipitations.
Ces variations, de l’ordre du milliardième de g, sont extrêmement faibles, mais n’échappent pas à la vigilance du gravimètre. Les géophysiciens savent depuis longtemps que les précipitations, en alimentant les réservoirs d’eau dans le sol, influencent la pesanteur. Par contre, on a peu étudié l’impact sur la pesanteur des précipitations très intenses, de pluie ou de grêle, produites en quelques minutes par de violents orages. Jamais les mesures d’un gravimètre n’avaient été comparées à celles d’un radar météorologique.
L’animation radar suivante montre un épisode orageux qui a touché la Belgique le 24 juillet 2017. La croix noire indique la position du gravimètre de Membach. Entre 13 h et 14 h, des précipitations très intenses sont observées par le radar au-dessus du gravimètre.
La figure ci-dessous montre l’évolution de la pesanteur mesurée par le gravimètre et l’intensité des précipitations estimées par le radar au cours de la journée. Le passage de l’orage s’accompagne d’une diminution rapide de la gravité. Pourquoi ? Tout simplement parce que les précipitations s’accumulent à la surface et augmentent la masse au-dessus du gravimètre situé sous terre, exerçant une contre-gravitation. Les variations de pesanteur permettent littéralement de peser la masse d’eau accumulée et donc la quantité de précipitations. La figure ci-après montre une bonne correspondance entre les précipitations cumulées au cours de la journée (au total, 22 mm d’eau), estimées par le gravimètre et le radar. Ces résultats montrent que la pluie et la grêle sont des phénomènes qui ne sont pas sans gravité.
es données des deux instruments ont été analysées sur la période 2003-2017 et plus de 500 épisodes de précipitations intenses ont été identifiés. Les résultats montrent que le gravimètre est précieux pour estimer les quantités de précipitations cumulées sur une grande surface. En effet, tel un gigantesque pluviomètre, il capte les précipitations dans un rayon de 400 m. Directement sensible à la masse des précipitations, le gravimètre offre également l’avantage de détecter aussi bien la pluie que la grêle ou la neige. Cet instrument est donc une nouvelle source d’observations in-situ intéressante pour valider les observations de précipitations provenant d’instruments de télédétection tels que les radars et les satellites météorologiques. La mesure des précipitations est indispensable pour contrôler et affiner les prévisions météorologiques et aussi pour étudier l’impact du changement climatique sur le cycle hydrologique.
Les résultats de cette recherche ont été publiés récemment dans la revue Hydrology and Earth System Sciences de l’Union Européenne de Géosciences (Delobbe, L., Watlet, A., Wilfert, S., Van Camp, M., Exploring the use of underground gravity monitoring to evaluate radar estimates of heavy rainfall, Hydrology and Earth System Sciences vol. 23 pp. 93-105 (2019). 10.5194/hess-23-93-2019.)